mardi 3 décembre 2013

Assemblée Générale 2013

Nous vous invitons à nous rejoindre pour notre Assemblée Générale 
ainsi qu'une après-midi d'ateliers 
le samedi 14 décembre 2013 de 14h à 19h 
à la Maison des étudiants de Lille 1 
(avenue Carl Grauss, 59650 Villeneuve d’Ascq)

Planning :
  • 14:00 : Accueil
  • 14:30-16:00 : Ateliers Prostitution ou Lesbophobie au choix
  • Pause
  • 16:15 - 16:45 : Chorale de noël contre les jouets sexistes
  • Pause
  • 17h00- 19h00 : Assemblée Générale

A l’ordre du jour de l’Assemblée Générale :
  • Bilan d’activité de l’association (2012-13)
  • Bilan financier de l’association
  • Discussion autour des perspectives de l’association pour l’année 2014
  • Élection du Conseil d’Administration et du Bureau

Cette journée est ouverte aux adhérent-e-s et aux non-adhérent-e-s d’Osez le Féminisme ! 59. L’Assemblée Générale est également ouverte à tou-te-s, mais veuillez noter que seul-e-s les adhérent-e-s pourront voter

Merci d’avance de remplir ce formulaire pour vous inscrire aux ateliers et/ou à l'AG et ainsi nous communiquer votre présence.

En espérant vous voir à cette occasion,

L’équipe d’Osez Le Féminisme ! 59 

vendredi 29 novembre 2013

Le manifeste des « 343 »

En 1971, le journal Le Nouvel observateur publie une pétition, intitulée « La liste des 343 françaises qui ont le courage de signer le manifeste Je me suis fait avorter ». Cette pétition avait pour but de faire éclater au grand jour la question de l'avortement et de la maternité choisie pour les femmes. Nous sommes en 1971. Les prémices des révoltes féministes aux États-Unis commencent à faire entendre leurs échos en France. Dans la société d'après mai 68, la sexualité tend à se libérer, mais, malgré la loi Neuwirth autorisant la prise de contraception, adoptée en 1967, les femmes seraient 6% à prendre la pilule. Elles sont, en revanche, des milliers à avorter clandestinement chaque année, au risque de leur santé et de leur vie. Les plus aisées pouvaient partir en Angleterre, où l'avortement était légal.

Dans la lutte pour la dépénalisation et la légalisation de l'avortement, le Mouvement de libération des femmes (MLF) naissant, s'organise dans la revendication pour l'autonomie reproductive des femmes et pour l'élimination des risques liés à la pratique de l'avortement clandestin.


Le slogan « Un enfant si je veux, quand je veux » en est l'illustration parfaite.



L'initiative

Nicole Muchnik et Jean Moreau, tous deux journalistes au Nouvel observateur, ont l'idée de faire témoigner, publiquement et en nombre des femmes connues qui auraient subi un avortement au cours de leur vie. Cette prise de parole collective de ces différentes personnalités publiques les mettraient à l'abri d'éventuelles poursuites.

L'idée est soumise au MLF, divisé quant à la suite à donner.
En effet, pour une grande partie de ses militantes, radicales, anticapitalistes et marxistes, il est hors de question de s'allier avec la « classe bourgeoise », si concernée soit-elle par le combat féministe. L'idée trouve tout de même un écho favorable auprès de certaines militantes, à l'instar d'Anne Zelensky, une des fondatrices du MLF. Avec l'aide de Simone de Beauvoir, elles écrivent le manifeste. Il s'agit de trouver les mots justes et les phrases qui accrochent. Se pose aussi la question de l'inclusion des hommes dans le débat et dans la rédaction du manifeste. Finalement, cette proposition sera écartée. Il s'agit là d'un combat de femmes pour les femmes.

Christine Delphy évoque très bien cette question de l'« intrusion » des hommes dans les débats et assemblées féministes, par la manière, d'une part, dont les militantes du MLF ont dû, lors de leurs premières réunions, écarter physiquement les hommes qui voulaient y assister, estimant que leur présence était indispensable, le combat devant être mixte. Elle explique d'autre part que les cortèges des manifestations pour l'avortement libre sont composés d'hommes devant et de femmes derrière.

Finalement, le titre du manifeste « Je me suis fait avorter » est adopté. Simone de Beauvoir en rédige la version finale et le texte commence ainsi :
« Un million de femmes se font avorter chaque année en France.
Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples.
On fait le silence sur ces millions de femmes.
Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté.
De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. »
Parmi les principales signataires :
  • Simone de Beauvoir, écrivain,
  • Christiane Rochefort, écrivain,
  • Christiane Dancourt, écrivain,
  • Micheline Presle, actrice,
  • Marguerite Duras, écrivain,
  • Françoise Sagan, écrivain,
  • Bulle Ogier, actrice,
  • Gisèle Halimi, avocate,
  • Jeanne Moreau, actrice,
  • Agnès Varda, photographe, réalisatrice,
  • Yvette Roudy, femme politique,
  • Marina Vlady, actrice,
  • etc.
Ces signatures sont principalement celles de personnes issues de milieux aisés (écrivains, artistes, enseignantes, avocates, etc.). La plupart d'entre elles ont sans doute eu la possibilité d'avorter à l'étranger, dans des conditions plus acceptables. Une partie du MLF fustige ces bourgeoises, mais le Nouvel Obs, hebdomadaire généraliste de gauche, veut se mobiliser, à l'instar de Jean Moreau et de Jean Daniel (un des fondateurs du journal et alors directeur). Les signataires du manifeste hésitent à le faire publier dans le Nouvel Obs, et proposent le texte au Monde, à Politique Hebdo, ou encore France Soir. Tous ont refusé.

Après de houleuses négociations avec le MLF, qui ne veut pas se faire instrumentaliser, le 5 avril 1967, le Nouvel Obs publie la « liste des 343 françaises qui ont le courage de signer le manifeste Je me suis fait avorter ». Le MLF obtient une tribune d'une page intitulée « Notre ventre nous appartient ».

Le journal arrête la liste des signataires à 343. Après la publication, des centaines de témoignages, de demandes de signature, de lettres de soutien ont continué d'arriver à la rédaction du journal.

Réception du manifeste

Si les esprits chagrins de l'époque ne tardent pas à faire entendre leur hostilité (milieux catholiques, journaux de droite titrant Le manifeste des culs ensanglantés »), l'initiative est aussi saluée, relayée dans d'autres journaux (l'évocation la plus célèbre encore aujourd'hui est celle de Cabu dans Charlie Hebdo, titrant « Le manifeste des 343 salopes »), et reprise à l'étranger (Romy Schneider dans Stern).

Pour les féministes, le Manifeste des 343 constitue une grande avancée. La justice ne poursuivra personne. Des militantes du MLF fondent, avec Gisèle Halimi, l'association « Choisir ». Parallèlement, le Mouvement français pour le planning familial (MFPF), alors tout juste agréé mouvement d'éducation populaire, densifie son réseau de centres d'information sur la contraception. Le mouvement vit également une lutte interne entre les membres qui pensent que l'objectif de l'association a été atteint avec l'application de la loi Neuwirth et qu'il faut donc la dissoudre, et les autres qui veulent inscrire leur combat dans une lutte politique et sociale.
Après ce vacarme médiatique en est venu un autre : celui du procès de Bobigny.
Marie-Claire Chevalier, mineure, décide d'avorter illégalement à la suite d'un viol, avec l'aide de sa mère et de deux autres adultes. Son violeur la dénonce, elle est donc inculpée pour avortement illégal. Gisèle Halimi, jeune avocate au barreau de Paris, fait de cette affaire un véritable procès politique. La jeune fille sera relaxée, la mère, condamnée à 500 francs d'amende avec sursis, les deux complices de la mère, relaxées. Le procès, médiatisé, a déchaîné les passions.
Enfin, en février 1973, le Nouvel Obs publie un nouveau manifeste, le « Manifeste des 331 », signé par des médecins revendiquant avoir pratiqué des avortements clandestins. Parmi eux, on peut retenir le nom du professeur René Frydman (à l'origine du premier bébé éprouvette en 1982).

Le 17 janvier 1975, après des débats houleux, le Parlement adopte la Loi Veil, relative à la dépénalisation et à la légalisation de l'avortement sous certaines conditions (limite de dix semaines de grossesse, autorisation pour les mineures, etc.), complétant ainsi la Loi Neuwirth de 1967, légalisant la contraception.

"Manifeste des 343 salopes" versus "Manifeste des 343 salauds"

Pour conclure : l'expression de Cabu dans Charlie Hebdo (qui est en réalité « Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste sur l'avortement ? ») est restée, et le manifeste continue d'être appelé « le manifeste des 343 salopes ».




Des années plus tard, des jeunes féministes ont lancé une pétition visant à enlever le mot « salope » du manifeste, ce qui a fait vivement réagir Jeanne Moreau, qui tient à le rester. De même, Nicole Muchnik, à l'origine du manifeste avec Jean Moreau, à la sortie de Charlie Hebdo, avait trouvé « cela amusant ».
Alors, salope ou salaud, quelle différence ? Quels enjeux derrière ces deux qualificatifs ?
Le dictionnaire de l'Académie française, dans sa 8e édition, définit ainsi le mot « SALOPE » : adj. féminin. Qui est sale, malpropre. Substantivement, au figuré et par injure, Une salope, Une femme de mauvaise vie. La définition du mot « SALAUD, AUDE » est la suivante : n. Celui, celle qui est sale. Il s'emploie surtout figurément. C'est un salaud, une salaude. On l'emploie aussi comme adjectif. Cet homme est bien salaud. Il est injurieux et grossier.
Ces deux acceptations sont donc surtout employées aujourd'hui dans une forme figurée, et si l'étymologie est sans doute la même (le mot « sale »), on constate que « salope » est employé avec une forte connotation sexuelle, « salaud », pas nécessairement. Le salaud est un connard, un individu grossier, malpoli, ordurier, etc.

Or, quand il est question des ces deux manifestes (les 343 et les 343 salauds), les deux qualificatifs semblent revendiqués. Mais qu'est-ce qui est revendiqué ? Pourquoi Jeanne Moreau tient à rester une salope et pourquoi Frédéric Beigbeder déclare-t-il être un salaud ?
En ce qui concerne les 343 « salopes », le mot « salope » était pertinent car il s'agissait pour les femmes concernées de montrer au grand jour une hypocrisie les concernant : la femme qui avorte est maintenue dans le silence car son acte est passible de poursuites ; elle est surtout vouée à la honte, celle d'avoir eu des rapports sexuels et de ne pas en assumer ensuite les conséquences. Mais quid des hommes qui ont eu des rapports sexuels avec ces femmes ? Pourquoi n'ont-ils pas honte ? Pourquoi ne sont-ils pas voués au silence ? Pourquoi ne sont-ils pas reconnus responsables ? C'est ce que pointe le titre de Charlie Hebdo.
Le mot salope est donc ici revendiqué car il est symbole d'une lutte et d'une dénonciation.
S’agissant de nos 343 salauds, nous savons parfaitement ce qui est revendiqué (liberté sexuelle, liberté d'aller voir les putes, liberté d'être un « hétéro-connard » assumé et décomplexé, etc.), et cela semble se passer de commentaires.



Amandine

Sources

- Wikipedia : Manifeste des 343
- Le Nouvel Observateur : Sophie des Deserts, « L'histoiresecrète du « Manifeste des 343 salopes » », Le Nouvel Observateur, n° 2160, 30 mars 2006
- Assemblée nationale : Loi n° 75-17 du 17 janvier1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse (publiée au Journal officiel du 18 janvier 1975)
- Christine Delphy, L'ennemi principal, T.1, Syllepses, 2013

mercredi 27 novembre 2013

Non, les victimes de la prostitution ne sont pas les riverain-e-s !

Un article de Métronews publié dans le journal du 15 novembre 2013 à propos de la prostitution de rue à La Madeleine relate des propos du maire de la commune. Ceux-ci nous ont choqué. Voici la lettre que nous lui adressons. 

Monsieur Le Maire,

Osez Le Féminisme ! 59 tenait à s’indigner publiquement et officiellement de vos propos qui ont été relayés dans l’article « La Madeleine fait face à la prostitution » paru dans le journal Métro du 15/11/2013.

Vous y expliquez que La Madeleine est témoin de l’arrivée de personnes en situation de prostitution, des « jeunes filles d'origine rom, dont certaines sont mineures, et qui sont exploitées par des souteneurs sans scrupule », avant de conclure par la phrase suivante : « les vraies victimes, ce sont les riverains ».

En tant que membres d’une association citoyenne et féministe qui est alertée sur la violence machiste qu’engendre la prostitution et travaille avec des associations accompagnant ces femmes sur le terrain, nous avons été profondément choqué-e-s par ce discours. Le gouffre est immense entre la gravité des situations rencontrées par les riverain-e-s et ces femmes que vous identifiez vous-même comme victimes de la traite. La phrase traduit au mieux un manque de connaissance de cette question et au pire un discours démagogue et inquiétant  de la part d’un élu de la République. Dans tous les cas, votre parole stigmatise ces femmes étant vues comme des “coupables”, alors qu'elles sont avant tout des victimes.

Les violences subies par les personnes en situation de prostitution sont majeures. Pour ne vous lister que quelques faits, nous vous rappelons que :
  • les personnes en situation de prostitution subissent des violences physiques intenses et répétées dans le cadre de cette pratique, et développent pour la plupart des syndromes post traumatiques similaires à ceux des victimes de guerre.
  • une personne en situation de prostitution a 120 fois plus de risque de mourir d’une mort violente que toute autre personne
  • comme vous l’évoquiez, ce sont des réseaux mafieux et illégaux qui prostituent principalement ces femmes, quitte à les dresser dans des camps de viols sordides, en France, et même dans la métropole lilloise.
Bien que gravissime, la situation de ces femmes est très peu relayée dans les médias. Avec votre phrase « les vraies victimes, ce sont les riverains  », vous contribuez à l’invisibilisation de la violence faites à ces femmes, et vous leur ôtez le statut de victimes essentielles du système prostitueur. Ce comportement n’est pas acceptable de la part d’un élu de la République.

Espérant que vos propos aient été avant tout maladroits, nous vous demandons de publier un communiqué pour présenter vos excuses officielles pour ce discours en décalage complet avec la détresse rencontrée par les victimes de la prostitution. Enfin, nous ne pouvons que vous conseiller de vous rapprocher des associations locales ayant une expertise sur la question pour mieux prendre la mesure de cette problématique. Nous nous tenons à votre disposition pour vous transmettre leurs coordonnées ainsi que pour échanger avec vous sur la question de la prostitution.

Cordialement,


Osez Le Féminisme! 59

jeudi 14 novembre 2013

"We can do it !" et "Rosie the Riveter"

Avant même leur entrée en guerre en décembre 1941, les États-Unis s’engagent dans une production intensive de matériel militaire. Les origines de cette politique remontent à la décision prise par les États-Unis en 1938 d’autoriser les ventes d’armes en gros à la France et à la Grande-Bretagne. Grâce à cette politique, ces deux pays vont pouvoir se procurer des quantités considérables de matériels militaires et d’avions. Pour exemple, en 1940, la France, la Grande-Bretagne et les pays du Commonwealth ont acheté 90 % de la production d’avions américains et rien que pour le mois de juin 1940, les alliés ont acheté pour 43 millions de dollars de matériel militaire aux américains.


En février 1941, Winston CHURCHILL – Premier Ministre Britannique - fait une déclaration à l’attention des américains au cours de laquelle il dit : « Donnez-nous les outils et nous finirons le travail ». En réponse à cette déclaration, le Président Franklin D. Roosevelt présente un projet de loi permettant aux États-Unis de « fabriquer, vendre, prêter, transformer, louer ou échanger » tout matériel de guerre à tout pays dont la défense serait jugée nécessaire à celle des États-Unis. Ce projet de loi aboutira à la signature le 11 mars 1941 de la loi Prêt-Bail (Lend-Lease). La loi Prêt-bail contribuera de façon déterminante à maintenir la machine de guerre alliée en fonction en permettant en effet la fourniture du matériel terrestre, naval, aérien, la livraison de nourriture, de vêtements, de matière première,… aux alliés. Dès lors, d’énormes marchés sont signés avec les entreprises américaines, et cette accélération de la production relance l’économie américaine qui sort enfin de la crise dans laquelle elle était plongée depuis 1929.


Suite à l’attaque de Pearl Harbor par les japonais, le 07 décembre 1941, les États-Unis se retrouvent presque du jour au lendemain directement impliqués dans le conflit de la 2nde guerre mondiale. Il faut à nouveau (et rapidement) envisager d’augmenter la production. Les hommes étant mobilisés, la pénurie de main d’œuvre se fait rapidement sentir dans les usines, et le travail des femmes devient alors une nécessité pour le gouvernement américain.



Le 06 janvier 1942, le Président Franklin D. Roosevelt lance un véritable défi à l’industrie américaine en annonçant le Victory Program, un programme d’économie de guerre visant à produire des quantités croissantes de matériel de guerre. Ce programme entrainera les États-Unis dans une production de matériel militaire jamais égalée. Les industries convertissent leur production : des entreprises comme FORD et CHRYSLER interrompent leur production de voitures au profit de l’assemblage d’avions, de chars, d’automitrailleuses … Les entreprises du bâtiment se lancent désormais dans la construction de chantiers navals. Des millions d’emplois sont ainsi créés.



Le gouvernement américain comprend assez rapidement qu’il est difficile de mobiliser la population en vue de produire un gigantesque effort de guerre alors que le territoire national n’est pas directement menacé. Il décide donc de lancer un vaste programme de propagande. Par le biais de campagnes d’affichage, de films, de la presse, …. il valorise le travail des ouvriers et explique que, pour qu’un soldat soit victorieux sur le front, il faut qu’à l’arrière la production militaire soit suffisante et de bonne qualité. Le travail en usine est désormais considéré comme un acte patriotique. Les femmes, particulièrement concernées par cette propagande, sont fortement incitées à rejoindre les usines d’armement, ou tout autre secteur de l’industrie.


« Nous avons du travail à faire et une guerre à gagner… MAINTENANT ! »

Il faut convaincre la société de la nécessité de mettre les femmes au travail. La propagande doit aider à convaincre les dernières réticences des américains les plus conservateurs. Ce qui ne pouvait être envisageable avant-guerre l’est devenu avec le conflit.


« Je suis fière… Mon mari veut que je participe »


En juin 1942, les États-Unis créent un bureau de l’information de guerre (Office of War Information ‘OWI’). Ce bureau cherche (entre autres choses) à promouvoir le patriotisme en organisant des campagnes de propagande, dont les campagnes pour le recrutement des femmes pour l’effort de guerre.


Des photographes comme Alfred T. PALMER et Howard R. HOLLEM sont sollicités par ce bureau pour effectuer des séries de photos de femmes au travail, immortalisant ainsi l’engagement massif des femmes dans l’industrie lourde du Victory Program.


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Les magazines américains de l’époque regorgent d’articles sur l’effort de guerre, de nombreuses photos des femmes au travail dans les usines sont publiées.

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Le gouvernement américain encourage également les entreprises à faire leur propre propagande en faveur de l’effort de guerre. 

C’est dans ce contexte qu’en 1942, l’usine Westinghouse Electric commande à l’artiste J. Howard MILLER une série de 42 affiches prônant l’effort de guerre au sein de l’entreprise. Chacune de ces affiches sera affichée pendant 15 jours dans l’usine puis on la remplacera par une autre de la série. L’affiche la plus populaire de cette série est celle dont le slogan est « We can do it ! »




Pourtant, cette affiche n’a été tirée qu’à 1800 exemplaires et n’a été vue à l’origine qu’au sein des usines de la Westinghouse Electric (du 15 au 28 février 1943). Les usines ciblées par cette affiche étaient surtout l’usine de Pittsburgh en Pennsylvanie et les usines situées dans le Midwest, qui comptaient parmi leurs employés une forte proportion de femmes (on y produisait des doublures de casques militaires imprégnées d’une résine plastique). 



Les autres affiches de la série avaient des slogans à connotation assez paternaliste, faisant la promotion de l’autorité de la direction et des compétences des employés. Elles encourageaient les travailleu-rs -ses à travailler plus, à fournir un travail de qualité, à respecter les valeurs et la hiérarchie de l’entreprise, à optimiser l’organisation du travail, à respecter les règles de sécurité, etc. Ces affiches avaient également pour objectif de remonter le moral des travailleurs, de réduire l’absentéisme et les conflits au sein de l’entreprise, d’encourager le travail en équipe …

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 Des questions à propos de votre travail ? …Parlez-en à votre superviseur


Le slogan « We can do it ! » n’a probablement pas été interprété par les ouvriers de l’usine comme un élément donnant du pouvoir uniquement aux femmes ou comme un encouragement à l’émancipation des femmes. Les salarié-es auront probablement interprété ce slogan dans le sens « Les employé-es de la Westinghouse peuvent le faire ! », (en travaillant ensemble, hommes et femmes).

Pour créer cette affiche, J. Howard MILLER se serait inspiré d’une photographie prise par un photographe de l’agence UPI (United Press International) d’une jeune ouvrière dans une usine du Michigan, Géraldine HOFF-DOYLE alors âgée de 17 ans, penchée sur une presse avec un bandana à pois sur la tête. Théorie très répandue mais parfois controversée, notamment par Charles A.RUCH, un historien de la Westinghouse Electric et ami de J. Howard MILLER, qui doute de la relation entre la photo de Géraldine HOFF-DOYLE et la femme figurant sur l’affiche ‘We can do it !’, car d’après celui-ci J. Howard MILLER s’inspirait pour ses créations plus de modèles vivants que de photographies.




Après 40 ans d’oubli, cette affiche a été redécouverte en 1982 grâce à un article du WASHINGTON POST consacré aux affiches à connotation patriotique issues de la collection des Archives Nationales. Depuis, cette image est souvent associée au féminisme, à sa promotion et à l’émancipation des femmes. L’utilisation que l’on fait aujourd’hui de cette affiche est donc finalement assez éloignée de son objectif initial. 



D’autre part, depuis sa redécouverte, on identifie également souvent (et ceci à tort) la femme représentée sur cette affiche comme étant Rosie The Riveter, alors qu’il s’agit bien de deux choses différentes.



Le nom de Rosie the Riveter est apparu ultérieurement, dans une chanson patriotique devenue très populaire durant la guerre, écrite par Redd EVANS et John Jacob LOEB en 1942, mais qui n’a été diffusée et popularisée qu’en 1943 par le Quartet The Four Vagabonds.




Cette chanson nous parle d’une jeune femme prénommée Rosie qui travaille à l’usine (elle assemble à l’aide de rivets des fuselages d’avions) pendant que son petit-ami est au front. Cette jeune femme abandonne les futilités et les plaisirs de la vie pour participer à l’effort de guerre ; elle incarne un peu le nouvel ‘idéal féminin’ durant la guerre. Les paroles décrivent exactement le genre de rôle que le gouvernement attend des femmes en temps de guerre :





Elle est sur la chaîne à son poste
Elle fait l’histoire, travaillant pour la victoire
Elle est vigilante contre le sabotage
Assise sur le fuselage
Cette frêle petite peut faire plus qu’un grand gaillard

Rosie a un chéri Charlie
Charlie est un Marine
Rosie protège Charlie
En travaillant sans limite avec sa riveteuse
Quand elle fut récompensée
Sa fierté était à son comble
Il y a quelque chose de vrai dans nos couleurs rouge, bleu et blanc

Pendant que d’autres filles sont dans les bars
Buvant des Martinis, mangeant du caviar
S’il y en a une qui leur fait honte, c’est bien Rosie

Tout le monde admire la scène
Rosie au travail sur un B-19
Elle ne gazouille jamais, n’est jamais nerveuse ou irritable

Parfois elle est pleine d’huile et de graisse
Faisant sa part pour vivre
Elle garde l’équipe au travail
Eux qui adorent glander

Rosie achète des tas de War Bonds
Cette fille est pleine de bon sens
Elle voudrait en acheter encore plus
Elle met tout son argent pour la défense
Le Sénateur Jones qui est dans le secret
A crié ça à la radio « jusqu’à Berlin
On va en entendre parler »
A Moscou on l’acclamera

Rosie la Riveteuse


Cette chanson a un énorme succès et dès lors, le prénom de Rosie commence à incarner toutes les femmes travaillant dans l’industrie dans le cadre de l’effort de guerre.


Quelques mois plus tard, c’est l’illustrateur le plus populaire du pays, Norman ROCKWELL, qui va enfin mettre un visage sur cette fameuse Rosie The Riveter et la faire définitivement entrer dans l’Histoire, en la représentant sur la première de couverture du SATURDAY EVENING POST du 29 mai 1943.






Cette couverture représente une femme (dont l’emploi est clairement identifié grâce au pistolet à riveter posé sur ses genoux), se prénommant Rosie (son nom est inscrit sur sa sacoche) en pleine pause déjeuner et piétinant l’ouvrage d’HITLER (Mein Kampf) sur fond de drapeau américain. Le message est assez clair : grâce à son travail et à sa participation à l’effort de guerre, Rosie aidera à écraser HITLER.

En ce qui concerne la pose de Rosie, N. ROCKWELL s’est inspiré d’une peinture du prophète Isaïe réalisée par Michel-Ange dans la chapelle Sixtine.




Le gouvernement américain a profité du succès de la chanson et de la popularité de la peinture de Norman ROCKWELL pour intensifier encore un peu plus sa propagande en faveur de l’effort de guerre féminin. Les magazines de l’époque sont incités à écrire des articles en faveur du recrutement des femmes dans les usines, laissant entendre à celles-ci qu’elles obtiendraient un bon salaire, de la reconnaissance, que grâce à leur travail elles sauveraient la vie de nombreux soldats, que plus elles travailleront, plus vite la guerre sera finie … On publie également un grand nombre d’articles sur des femmes riveteuses, soudeuses, conductrices d’engin, agricultrices,… laissant présager aux femmes que les métiers jusqu’alors réservés aux hommes leur sont désormais accessibles.

Peu à peu, le mythe de ‘Rosie the Riveter’ s’installe, et au fil du temps Rosie devient un modèle pour beaucoup de femmes américaines de cette époque.

Lorsque les États-Unis sont entrés en guerre, 12 millions de femmes exerçaient déjà une profession. Grâce à la propagande et au patriotisme ambiant, c’est plus de 6 millions de femmes qui vont entrer pour la première fois dans le monde du travail. La plupart de ces 6 millions de nouvelles recrues sont des femmes mariées, avec enfants, ce sont en général des femmes blanches issues de la classe moyenne. Pour elles, le travail à l’extérieur est une idée nouvelle car, jusqu’alors, ces femmes étaient plutôt cantonnées dans la sphère privée, contrairement aux femmes issues des minorités et des classes inférieures qui avaient déjà, quant à elles, plus ou moins investi le monde du travail salarié (le plus souvent pour des raisons économiques).
La guerre va introduire des changements majeurs dans la vie des femmes américaines. 

Même si avant le conflit, une partie des femmes étaient déjà implantées dans le monde du travail, elles exerçaient pour la majorité d’entre elles des métiers typiquement féminins, des métiers de service, mal rémunérés, souvent pénibles, peu valorisants … Les besoins de production de guerre combinés avec le départ des hommes sur le front des opérations offrent aux femmes l’opportunité d’accéder à une plus large gamme d’emplois et d’obtenir de meilleures rémunérations. Ces femmes découvrent qu’elles peuvent avoir aussi un rôle à jouer en dehors de la sphère privé, qu’elles sont capables de se ‘débrouiller’ en l’absence de leur mari. Beaucoup d’entre elles entrevoient désormais le travail comme la clé de voûte de l’émancipation, qui leur permettra d’accéder à l’indépendance et à l’autonomie financière.

Malheureusement, les campagnes de propagande utilisées pendant la guerre n'ont jamais eu comme objectif d'apporter des changements permanents à la place des femmes dans la société. Au contraire, les idées du gouvernement étaient claires, le recrutement massif des femmes ne devait être que temporaire et ne devait servir qu’à combler la pénurie de main-d’œuvre durant la guerre. À la fin des hostilités, le gouvernement a lancé une nouvelle campagne de propagande, invitant cette fois les femmes à céder leurs emplois aux hommes, en leur rappelant au passage que l’atout principal des femmes était leur capacité à prendre de soin de leurs maisons, de leur famille … Beaucoup de femmes ont tout simplement été licenciées, d’autres ont quitté leur emploi (soit d’elles-mêmes mais parfois aussi sous la pression de leur mari ou de leur famille) d’autres se sont vu proposer par leurs employeurs des postes moins bien rémunérés, plus ‘féminins’…

En clair, après-guerre un grand nombre de femmes sont retournées au foyer et à leurs tâches ménagères … et l’augmentation du taux de natalité durant ces années d’après-guerre n’a fait qu’amplifier le phénomène.



Ceci dit, on peut quand-même considérer que l’effort de guerre des femmes a joué un rôle émancipateur pour bon nombre d’entre elles, puisqu’après-guerre, le nombre de femmes occupant un emploi n’est jamais retombé en dessous des niveaux de ceux constatés avant-guerre. Ce qui laisse à penser que cet épisode de l’Histoire a un tantinet changé les mentalités et que les filles et petites-filles des Rosie ont continué sur la voie tracée par leurs mères et leurs grands-mères.



Il est assez amusant de constater ici que Rosie the Riveter, tout comme l’affiche ‘We can do it !’, sont parvenues à devenir des symboles du féminisme dans les années 80 malgré leurs racines plutôt patriotiques et paternalistes ... Ce qui montre qui les images peuvent avoir plusieurs vies, qu’elles peuvent être vues et interprétées de manière différente selon les époques et qu’elles peuvent s’adapter à une autre cause ou à un autre but que celui pour lequel elles ont été créées ; mais à condition d’oublier le contexte historique qui les a vues naître … L’attitude frondeuse de Rosie et de la femme représentée sur l’affiche de J. Howard MILLER a sans doute beaucoup aidé à transformer ces deux représentations en icônes du féminisme …


Laurence (avec la précieuse collaboration d'Hélène)

Sources

Harvey Sheridan Rosie The Riveter : real women  workers  in world war II

Rosie the Riveter: Women Working During World War II 


Penny Colman Rosie The Riveter image 

Docs populi  ‘Rosie The Riveter’ is not  the same as ‘We can do it !’

James Kimble and Lester Olson Visual Rhétoric representing Rosie The Riveter. Myth and misconception in J.Howard Miller’s ‘We can do it !’ poster

Dird William L Rubenstein Harry R Design for victory

Wikipédia

Rosie Pictures: Select Images Relating to American Women Workers During World War II

World War II and the Postwar Years in America: A Historical and Cultural Encyclopedia, Volume 1


American Women during World War II: An Encyclopedia


American Icons

mardi 5 novembre 2013

Réunion mensuelle novembre

Notre prochaine réunion mensuelle aura lieu le 

jeudi 7 novembre 2013 à 19h30 

Elle portera sur la harcèlement de rue. N'hésitez pas à venir, nos réunions sont ouvertes à toutes et tous !

A l'ordre du jour :
1. Un mot sur Osez le Féminisme!

2. Un point sur l'actualité 

3. Le coup de gueule du jour (nouvelle rubrique 2013)

4. La petite histoire de... (encore une nouvelle rubrique)

5. Quid du harcèlement de rue et de la campagne à mener

6. Les plus motivé-e-s reprennent un verre, les autres rentrent :-)

A très vite !


mardi 15 octobre 2013

Portrait associatif #2 / Ecoute Brunehaut et Brunehaut Enfant


Rencontre avec Oriane Van Den Berghe, éducatrice spécialisée, 
et Clémentine Gorisse, psychologue de l'association

Ecoute Brunehaut et Brunehaut Enfant”

Association spécialisée dans les violences conjugales

Zoom sur le parcours professionnel  d’Oriane et Clémentine

Oriane Van Den Berghe est diplômée d’une licence de sociologie et éducatrice spécialisée de formation. C’est lors d’un stage dans un centre d’hébergement pour femmes et enfants qu’elle prend conscience du rôle des violences conjugales dans la précarisation de beaucoup de femmes. Au fur et à mesure de sa pratique, elle devient militante, se rendant compte que “La situation actuelle des femmes est très fragile.”. Elle travaille au Service Brunehaut Enfant depuis maintenant trois ans.

Le diplôme de Psychologue en poche, Clémentine Gorisse, est entrée au service Brunehaut Enfant après avoir travaillé au service Ecoute Brunehaut et avoir réalisé un stage dans un centre d’hébergement pour femmes et enfants au sein de l’association Accueil et Réinsertion Sociale. Pour Clémentine “Le féminisme fut d’abord une lutte révolue, je l’imaginais plutôt pour les femmes d’autres pays. Finalement depuis que je travaille ici et avec le travail de prévention que nous effectuons, ma pensée a évolué.”.

Oriane et Clémentine

Présentez nous votre association...

Dites-nous quand et comment est née “Ecoute Brunehaut enfant” ?
A l’origine, Monsieur Jalain est Directeur Général de l’association “Accueil et Réinsertion Sociale” (ARS) qui comprend plusieurs foyers et services d’accueil et d’accompagnement pour les femmes avec ou sans enfants. Lorsqu’il comprend que 80% des femmes accueillies dans les foyers sont victimes de violences conjugales, il décide de créer le pôle Brunehaut. Ce pôle ouvre à Liévin en 2002 et propose alors un service d’écoute téléphonique, un service d’écoute sur entretien ainsi qu’un service d’accompagnement aux démarches administratives en lien avec les violences conjugales (médecine légale, avocat...). En janvier 2005, l’antenne de Lille est créée. En 2006, à Fives, nous créons un service d’hébergement avec l’ouverture de chambres de transit. Ensuite, une réflexion importante sur la souffrance des enfants voit le jour et entraîne la naissance du service “Brunehaut Enfant” en 2009.


Quels en sont les objectifs, quels sont vos champs d’action ?
L’écoute, l’accueil, l’accompagnement et l’hébergement des femmes victimes de violences conjugales sont nos priorités.

Avant toute chose, nous respectons le rythme de chaque femme qui vient nous solliciter. Par exemple, certaines femmes ne veulent pas quitter leur conjoint violent, certaines arrivent en nous disant “je vous préviens, je ne quitterai pas mon mari”. Nous leur apportons alors un soutien adapté afin qu’elles s’en sortent tout en respectant leur volonté. Notre rôle n’est pas de définir ce que signifie “s’en sortir”, notre rôle est de savoir s’adapter à la demande de chaque femme et de trouver des solutions en conséquence.  

Nous accueillons également les enfants exposés à la violence conjugale et proposons un suivi psychologique lorsque la mère le demande. Un travail peut se faire en parallèle par un soutien apporté aux mères victimes.

La prévention contre les violences sexistes en milieu scolaire fait aussi partie de nos missions et ce, dès la maternelle. Nous cherchons à amorcer une réflexion sur les représentations des rapports entre garçons et filles chez les enfants et les jeunes. Notre objectif est d’amener les générations futures à des rapports plus égalitaires et ainsi de réduire les violences conjugales.

Nous avons aussi une mission de sensibilisation auprès des futurs professionnels, notamment auprès des travailleurs sociaux.

Enfin, nous faisons partie de la Fédération Nationale Solidarité Femmes, qui gère le service téléphonique national d'écoute « Violences Conjugales - Femmes Infos Services ». Le 3919 est un numéro d’écoute anonyme, gratuit depuis un téléphone fixe.

Les violences

Comment définissez-vous les violences conjugales ?
La violence conjugale est un processus de domination qu’exerce l’homme sur la femme dans le cadre d’une relation privilégiée. Cette violence peut être psychologique, physique, sexuelle, économique, administrative... La force de cette domination est telle que cette violence conjugale peut même continuer après la rupture. Nous le constatons aussi chez les enfants qui continuent d’être exposés à la violence après la séparation des parents.

Quelles situations rencontrez-vous le plus souvent ?
La violence psychologique est la plus récurrente. Bien sûr, chaque histoire est unique mais nous retrouvons toujours les mêmes phases du cycle de violence : l’accumulation des tensions au sein du couple, la crise de violence verbale, physique ou sexuelle, la déresponsabilisation de l’agresseur puis le retour à la lune de miel (plus de détails sur le site de l’association).


Quelles sont les difficultés les plus fréquentes ?
Nous constatons que de nombreux professionnels ne reconnaissent pas le phénomène de violences conjugales. Certains travailleurs sociaux, se retrouvent face à des situations où ils se positionnent uniquement sur la famille, sans prendre en compte le passé des violences conjugales. Quand un enfant ne veut plus voir un de ces parents, on pense forcément qu’on lui a interdit. Mais si vous saviez le nombre d’enfants qui ont peur pour leur mère parce qu’ils sont persuadés qu’elles auraient pu mourir sous les coups ! Les professionnels dédramatisent la violence conjugale et vont même jusqu’à la taire. Pour eux, les enfants doivent oublier. Une femme sur dix est victime de violences conjugales, ne l’oublions pas !

Qu’en est -il de la situation dans le Nord Pas de Calais ?
Dans le Pas-De-Calais, les auteurs de violences conjugales peuvent disposer d’alternatives aux poursuites avec l’intégration de groupes de responsabilisation par exemple. Par contre, dans le Nord, il n’existe aucune prise en charge spécifique mis à part le dispositif TREVH (Temps de recherche et d'évaluation de la violence des hommes) de l’Association intercommunale d'aide aux victimes et de médiation.(AIAVM)

Quelles évolutions avez-vous noté depuis la création de l’€™association ?
Une amélioration de l’accueil dans les commissariats. Les policiers sont maintenant formés une fois par an et la loi semble mieux appliquée.
Concernant une possible baisse des violences physiques, c’est difficile à mesurer car nous avons peu de statistiques.

Dites nous quelles sont les démarches à suivre, vers qui on peux se tourner ?

Quel premier conseil donnez-vous à une personne victime de violence ?
Il est important de sortir de sa solitude, de commencer à en parler et si possible de se tourner vers des personnes capables d’écouter sans porter un jugement. C’est parfois compliqué de trouver une telle personne car les proches connaissent l’auteur, et ils peuvent être pris eux-mêmes dans la souffrance. De plus, beaucoup de femmes nient encore ces violences.

L’écoutant(e) doit déculpabiliser la personne et lui faire prendre conscience qu’elle est avant tout une victime. Ce qu’elle a vécu, ce n’est pas normal. Ensuite, elle peut l’orienter vers des services comme le nôtre où la victime trouvera un soutien et un accompagnement adapté à son rythme.

Que diriez vous à une personne victime de violence, qui aurait peur de mettre fin à une relation avec l’auteur des violences ?(Quel qu'en soit le motif : peur des représailles, problèmes liés au logement, aux enfants, conséquences économiques...)
C’est compliqué car chaque victime a ses propres barrières. Cela peut même être l’animal de compagnie. Souvent la peur de quitter le domicile familial est liée aux enfants. Les femmes pensent qu’il est important pour les enfants d’avoir un papa et une maman sous le même toit. Nous leur expliquons alors que le climat de violences est loin d’être idéal pour les enfants et que dans ce contexte, il est préférable d’avoir des parents séparés et un foyer calme et serein. Les mamans arrivent à quitter leur conjoint lorsqu’elles prennent conscience de l’impact des violences sur leurs enfants.

Il faut surtout rappeler qu’il y a toujours des solutions. On n’a jamais laissé une femme à la rue, jamais jusqu’à aujourd’hui. Quand une femme fait appel à notre association elle a la possibilité de ne plus être seule face à sa situation.

Quelles sont les démarches administratives qu’une personne doit effectuer si elle est victime de violences ?
Lorsqu’il y a des coups, l’important est de faire des certificats médicaux à la médecine légale ou auprès d’un médecin généraliste et de les mettre en lieu sûr. Ils pourront servir de preuve quand nécessaire, c’est important.

Le dépôt de plainte est possible mais c’est mieux s’il est réfléchi et préparé avec un professionnel. Des fois il vaut mieux attendre quelques mois afin que la victime soit prête et qu’elle soit à l’abri. Car avant tout, elle doit sauver sa peau. La sécurité physique prévaut à la plainte. Il peut être important que soient indiquées aux femmes les conséquences d’un dépôt de plainte afin qu’elles puissent se préparer.

Et quel(s) conseil(s) donneriez-vous à une personne témoin ?
Tout dépend de la situation. En tant que voisin, si on entend une grosse crise, il faut appeler la police sans hésiter. Si on sait qu’un enfant est en danger, il y a obligation de le signaler aux autorités. Le plus simple est d’utiliser le 119, numéro vert “Allô enfance en danger”. Si c’est une amie, l’important est de rester présent(e), lui dire que quelle que soit sa décision, elle peut être hébergée sans problème, qu’il existe un numéro, le 3919, qui est gratuit et qui permet d’être écoutée et orientée vers une association spécialisée. Le tout est de respecter ses décisions personnelles, son cheminement. C’est elle qui fait ses choix.

La reconstruction de la personne victime : que diriez-vous à une personne qui pense que c’est inutile d’avoir recours à une aide psychologique ?
C’est une démarche très personnelle, il faut en avoir envie. C’est important mais pas indispensable. Il y a des femmes qui s’en sortent réellement sans aide psychologique, en reprenant une vie sans violence à travers de nouvelles unions notamment. Parfois le suivi psychologique peut juste aider à aller un  peu plus vite et surtout, à ne pas retomber dans des pièges de domination.

Il y a aussi des femmes pour qui il est difficile de reprendre le dessus tant elles ont été démolies. Il faut réussir à comprendre ce qui s’est passé pour retrouver un équilibre pour soi même. Le travail consiste à comprendre comment elles ont fait pour accepter ces violences, pourquoi elles n’ont pas su dire stop au bon moment, pouvoir déceler les petits signes avant l’engrenage, savoir jusqu’où elles mettent leurs limites. Certaines reproduisent un schéma et ne se retrouvent qu’avec des compagnons violents.

Enfin, il y a aussi le regard porté sur soi qui entre en jeu.

Retour sur l’action de l’association

Comment mesurez-vous les effet de vos actions sur les personnes que vous avez reçues ?
Nous avons des retours positifs, notamment de mamans et leurs enfants qui parviennent à mettre des mots sur leur vécu et celui des enfants, qui arrivent à parler de leur départ et surtout qui ont réussi à retrouver une certaine quiétude. Chacun retrouve sa place au sein de la famille.

Pour le côté prévention, les équipes enseignantes et pédagogiques ont compris qu’il est nécessaire d’aborder ce sujet. Permettre aux jeunes de s’exprimer sur l’égalité femmes-hommes est important car ils n’en ont jamais l’opportunité. Nous réussissons à remettre du sens à la mixité et les ambiances de classe s’en font souvent ressentir. Lors de nos interventions, nous mettons en place un processus de valorisation. Cela remotive même certains élèves qui étaient en décrochage scolaire. Après nos échanges, des groupes sont parfois mis en place pour réaliser des exposés. Les élèves demandent même à nous revoir !

Une réussite de l'association ?
Nous nous souvenons d’une famille avec une grande problématique de violences conjugales que nous avons accompagnée pendant quelques temps. Nous avions créé un partenariat avec un juge mais ce fut un chemin de longue haleine avec de nombreuses frayeurs. Les décisions de justice ont pris du temps et il a fallu gérer l’angoisse de la famille. Finalement, ils ont eu gain de cause et tout le monde s’est relevé. Les enfants ont maintenant plein de projets. C’est encourageant pour notre travail au quotidien.





Quel est le meilleur moyen pour vous contacter ? Peut -on venir directement dans votre local ?
Par téléphone au 09.71.55.23.12


Plus d’informations sur nos missions sur le site www.violencesconjugales5962.fr
Les accueils se feront sur rendez vous, dans la semaine suivant la prise de contact.
Nous recevrons dans un premier temps la mère seule et ensuite la mère et son enfant.